26 janvier 2009

ANALYSE : Arrêt de la CIJ sur la demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains : résumé et brefs commentaires


Materneau CHRISPIN

La Cour internationale de justice (CIJ) vient de rendre son arrêt dans l’affaire opposant le Mexique aux Etats-Unis d’Amérique. Il s’agissait d’une demande en interprétation d’un précédent arrêt en date du 31 mars 2004 rendu par la CIJ entre les mêmes parties (affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)). Elle a été introduite par le Mexique sur la base de l’article 60 du Statut de la Cour et des articles 98 et 100 de son Règlement.

Avant de résumer et de commenter brièvement l’arrêt, une remise en contexte de l’affaire s’impose, afin de mieux la situer et de permettre une meilleure compréhension de l’instance et des questions qui y ont été débattues et tranchées par la Cour.

Le 31 mars 2004, la CIJ prononça un arrêt entre le Mexique et les Etats-Unis dans lequel elle constata que des ressortissants mexicains (cinquante-deux) condamnés à mort pour différents crimes aux Etats-Unis n’avaient pas pu bénéficier des garanties octroyées par l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Sur le fondement de cette constatation, la Cour jugea que l’une des conséquences de cette violation est l’obligation pour les Etats-Unis « de permettre le réexamen et la révision du cas de ces ressortissants par les tribunaux américains ». Par la suite, des condamnés visés dans l’arrêt Avena introduisirent plusieurs instances par devant les juridictions américaines en vue du réexamen et de la révision de leurs condamnations sur la base dudit arrêt. Ces démarches donnèrent lieu à divers débats qui ont poussé le Mexique à considérer que le sens et la portée de cette obligation des Etats-Unis devaient être précisés par la Cour par le biais d’une interprétation de sa part.

Ainsi, le Mexique introduisit auprès de la CIJ, le 5 juin 2008, une requête en interprétation du point 9) du paragraphe 153 de l’arrêt rendu en 2004 sur la base de l’article 60 du Statut de la Cour. Dans sa requête, il demandait principalement à la Cour de dire que l’obligation qui leur incombe en vertu de l’arrêt de 2004 constitue bien une obligation de résultat. Dans la foulée, le Mexique soumit aussi le même jour une demande en indication de mesures conservatoires qui visait à prévenir l’exécution de M. José Ernesto Medellín Rojas. La Cour fit droit à cette demande et rendit une ordonnance en ce sens le 16 juillet 2008. En dépit de l’arrêt du 31 mars 2004 et de cette dernière ordonnance, M. Medellín fut exécuté par l’Etat du Texas le 5 août 2008. En réaction à ce fait, le Mexique obtint de la Cour le droit de soumettre des conclusions additionnelles dans le cadre de son action en interprétation à l’effet de faire constater que cette exécution constituait une violation par les Etats-Unis tant de l’ordonnance de la Cour du 16 juillet 2008 que de l’arrêt Avena lui-même.

Dans son arrêt, la Cour a consacré l’essentiel de son analyse à la question de l’existence ou non d’un différend entre les parties à l’instance portant sur l’interprétation de l’arrêt de 2004. Cette question prenait toute son importance au regard de la base de compétence invoquée par le Mexique. En effet, rappelons que ce dernier a introduit son action en invoquant l’article 60 du Statut de la Cour. Cette disposition restreint la compétence de la Cour à la tâche d’interpréter un arrêt qu’elle a rendu. Donc, si la partie qui a initié l’instance ne peut faire la preuve d’une contestation sur le sens et la portée dudit arrêt devant être tranchée par le travail d’interprétation de la Cour, cette dernière n’a pas de compétence pour revenir sur une décision qui est définitive pour les parties.

Dans sa requête introductive d’instance et dans ses autres conclusions, le Mexique demandait à la Cour de dire et juger que « l’obligation incombant aux Etats-Unis en vertu du point 9) du paragraphe 153 de l’arrêt Avena constitue une obligation de résultat ». Les Etats-Unis d’Amérique arguèrent, pour leur part, qu’étant d’accord avec l’interprétation du Mexique quant à la nature de l’obligation qui découle pour lui de l’arrêt Avena, il n’existait donc pas de différend avec le requérant sur ce point et qu’il n’y avait de ce fait aucune contestation entre les parties sur le sens et la portée de ladite obligation qu’il revenait à la Cour de trancher. En conséquence, les Etats-Unis prièrent la Cour de juger que l’article 60 de son Statut ne lui conférait pas de compétence pour se prononcer sur cette demande.

Toutefois, la Cour décida d’exercer sa compétence en rappelant la jurisprudence Usine de Chorzow relative à l’interprétation des arrêts n°7 et 8, laquelle précise qu’il revient à celle-ci de déterminer l’existence effective d’une contestation dans une instance qui lui est soumise. Après avoir établi sa compétence, la Cour entreprit d’analyser les moyens avancés par les deux parties quant à l’existence d’un différend entre eux sur l’interprétation de ce point particulier de l’arrêt Avena. Après avoir passé en revue les différents éléments soumis par les parties pour défendre leurs positions respectives, la Cour souligna que l’article 98, paragraphe 2, de son Règlement fait obligation à toute partie introduisant une demande en interprétation d’un arrêt d’indiquer avec précision le point ou les points contestés quant au sens ou à la portée de celui-ci[1]. Etant parvenue à la conclusion que le Mexique n’avait pas établi, avec la précision nécessaire, l’existence d’une contestation sur le point en question de l’arrêt Avena[2], la Cour rejeta sa demande[3].

Le raisonnement développé par la Cour pour parvenir à sa décision de rejet de la demande mexicaine lui a donné l’opportunité de rappeler et de consolider des points de droit international qui, tout en étant bien établis, ne souffrent nullement d’un rappel à l’occasion d’un nouvel arrêt. En effet, pour asseoir son argumentation démontrant l’existence d’une contestation sur l’interprétation de l’obligation en question, le Mexique fit, entre autres, état du fait que les juridictions internes des Etats-Unis, notamment la Cour suprême en l’affaire Medellín c. Texas, avaient fait une appréciation de l’arrêt Avena qui est incompatible. Or, l’obligation que cet arrêt met à la charge des Etats-Unis s’impose tant au gouvernement fédéral américain qu’à tous les organes constitutifs des Etats-Unis, au niveau fédéral et à celui des Etats, y compris le pouvoir judiciaire. La Cour, analysant cet argument, rappela brièvement, en creux, que les considérations liées à l’ordre juridique interne des Etats ne sauraient les délier de leurs obligations internationales. Une façon de rappeler la théorie du « blackbox » en droit international[4] ? En relation avec ce dernier point, la Cour avait aussi été priée par le Mexique, quoique de manière implicite et détournée, de se prononcer sur la question générale de l’effet direct ou non de ses arrêts dans l’ordre juridique interne des Etats. La CIJ refusa de le faire, considérant que le caractère général d’une telle question « échappe à la compétence conférée de manière spécifique par l’article 60 » de son Statut.

Après avoir rejeté la demande principale du Mexique, la CIJ passa à l’analyse de ses trois demandes additionnelles. La première tendait à faire constater par la Cour la violation par les Etats-Unis de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 16 juillet 2008, ce du fait de l’exécution capitale par ce dernier de M. Medellin le 5 août 2008 sans examen et révision préalables de sa condamnation, tel que le prescrivait l’arrêt Avena de 2004. La seconde demandait à la Cour de juger que cette exécution constituait aussi une violation de l’arrêt Avena lui-même. Enfin, la troisième priait la CIJ d’ordonner au défendeur de fournir des garanties de non-répétition.

La Cour, après avoir rejeté les arguments des Etats-Unis quant à son incompétence pour connaître de la première demande additionnelle mexicaine, déclara que l’article 60 de son Statut était une base suffisante de compétence. Elle se contenta de constater que M. Medellín ayant été exécuté sans avoir pu bénéficier du réexamen et de la révision de son cas, comme prévu par l’arrêt Avena, et que dans ces conditions cela contrevenait à son ordonnance du 16 juillet 2008. Sur cette base, elle conclut que le défendeur avait violé l’obligation qui lui incombait en vertu de ladite ordonnance. Elle en profite pour rappeler que les Etats-Unis sont toujours liés par l’obligation de ne pas exécuter quatre autres condamnés mexicains nommément désignés dans l’arrêt Avena (par. 54 de l’arrêt).

Par contre, la Cour s’est gardée de faire droit à la deuxième demande additionnelle du Mexique, en précisant que la base de compétence invoquée par le requérant (article 60 du Statut) ne l’autorisait pas à faire un tel prononcé en ce qui concerne l’arrêt Avena lui-même (par. 56 de l’arrêt). Elle exerça la même prudence relativement à la troisième demande additionnelle mexicaine en se contentant de « rappeler que l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Avena reste obligatoire et que les Etats-Unis sont toujours tenus de l’appliquer pleinement » (par. 60 de l’arrêt).

La décision de la Cour de rejeter la demande principale du Mexique relative à l’interprétation du point 9) du paragraphe 153 de l’arrêt Avena, au motif que le requérant n’a pu faire la démonstration de l’existence d’une contestation se rapportant au point en débat, ne semble pas être d’une persuasion à toute épreuve. La Cour a procédé à une analyse qui, dans un premier temps, a fait le recensement des éléments avancés par le requérant qui tendent à prouver qu’il existe une réelle contestation entre les parties quant au sens et à la portée de l’obligation contenue dans le point susmentionné (par. 31-35 de l’arrêt).  Dans un second temps, elle a mis l’accent sur d’autres éléments qui semblent justifier la conclusion contraire (par. 36-39 de l’arrêt).

Ce faisant, la Cour ne procéda pas véritablement à une analyse approfondie des éléments pouvant autoriser une conclusion finale allant dans un sens ou dans un autre. Ce travail aurait pu prendre la forme d’une confrontation des éléments de chaque groupe les uns aux autres afin d’en évaluer le poids respectif et surtout leur solidité résiduelle à la suite d’une telle confrontation. A cette approche là, elle préféra une autre méthode beaucoup plus simple et, il faut le reconnaître, moins intéressante au niveau du raisonnement juridique, consistant en un raisonnement syllogistique peu satisfaisant utilisant comme prémisses l’article 98, paragraphe 2, de son Règlement et sa conclusion laconique de l’insuffisance de la démonstration mexicaine sur ce point. Il faut reconnaître que la formulation trop étroite que le Mexique donna de sa demande en interprétation a facilité une telle approche de la Cour. Car, celle-ci ouvrit une brèche astucieusement utilisée par la partie américaine qui a vite compris son intérêt à accepter d’emblée la position mexicaine, à savoir que l’obligation en débat était bien une obligation de résultat, afin de nier dans la foulée l’existence d’une contestation à ce sujet.

La facilité avec laquelle la Cour accepta que l’affirmation du défendeur, quant à son acceptation de la position mexicaine, évacuait toute possibilité qu’il puisse exister un différend portant sur l’interprétation de l’obligation en débat, peut constituer, à juste titre, un motif d’insatisfaction. Il peut être raisonnablement soutenu que cet accord là sur la qualification de l’obligation n’était qu’un point de départ qui n’excluait pas des contestations possibles pouvant être liées au sens et à la portée d’une telle obligation de résultat. Il y avait de la place pour un travail de précision et de clarification, donc d’interprétation, au sens de l’article 60 du Statut, particulièrement au vu des éléments fournis par le Mexique sur le comportement du défendeur et des organes relevant de sa souveraineté (notamment la Cour suprême des Etats-Unis) par rapport à la mise en pratique concrète de ladite obligation.

Dans sa déclaration jointe à l’arrêt, le Juge Abdul G. Koroma, fit valoir, dans une argumentation succincte, les autres traitements possibles que la Cour aurait pu faire de cette affaire. Il a identifié deux disputes que celle-ci aurait pu trouver en l’espèce. La première porterait sur la façon pour les Etats-Unis de se conformer à cette obligation ; la seconde sur la portée et les effets de celle-ci dans l’ordre juridique interne du défendeur. Le Juge Koroma a montré comment la jurisprudence de la Cour aurait pu servir de base à une conclusion de celle-ci quant à l’existence de l’une ou l’autre des deux disputes susmentionnées.

L’opinion dissidente du Juge Sepulveda-Amor va aussi dans le même sens, en mettant en évidence les interprétations divergentes que les parties ont exprimé, lors de diverses procédures devant des juridictions américaines ayant trait directement ou indirectement à l’arrêt Avena (paragraphes 18-28 de l’opinion). Ce dernier regrette aussi que la Cour n’ait pas utilisé cette opportunité pour clarifier certains points importants relatifs notamment à l’effet de l’arrêt Avena dans l’ordre juridique interne des Etats-Unis.

Quant aux autres points de l’arrêt, le Juge Sepulveda-Amor exprime aussi son insatisfaction par rapport au fait que la Cour, tout en ayant constaté une violation par les Etats-Unis de l’obligation de réexamen et de révision des condamnations avant de procéder à toute exécution des condamnés mexicains contenue dans son ordonnance du 16 juillet 2008, se soit abstenue de se prononcer sur les conséquences juridiques d’une telle violation (par. 10-13 de l’opinion).

On peut comprendre ce désir de voir la Cour se prononcer sur une telle question. La problématique de la nature contraignante, de la portée et des conséquences de leurs violations des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la CIJ demeure un aspect du droit international auquel la jurisprudence pourrait apporter de la densification et un certain approfondissement. Le bilan en matière de respect de ce type d’ordonnances par les Etats justifie que la Cour ne rate aucune occasion, toutes les fois que cela soit possible, de réaffirmer le caractère contraignant de celles-ci ainsi que les conséquences découlant de leur violation.

Toutefois, le fait que la Cour ne se soit pas aventurée à se prononcer sur ce point-là me semble parfaitement justifié et cohérent. D’abord, ce chef de demande ne figure pas dans les conclusions du Mexique[5]. De plus, l’action ayant été introduite sur une base de compétence qui délimite assez précisément le contour de la tâche de la Cour en la matière, un tel prononcé de sa part pourrait difficilement se justifier dans le cadre de compétence fixé par l’article 60 du Statut. Plus d’un, même au sein de la Cour[6],  ne comprendraient pas que celle-ci s’octroie une telle liberté. Le grief de la décision ultra petita aurait été trop manifeste pour ne pas attirer à la Cour de sévères critiques.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de son auteur.


[1] Paragraphe 38 de l’arrêt.
[2] En effet, au paragraphe 38 de l’arrêt, la Cour conclut que « la requête fait état d’une contestation portant sur la question de savoir si l’obligation énoncée au point 9) du paragraphe 153 de l’arrêt Avena constitue une obligation de résultat. Les Etats-Unis ont reconnu sans tarder que l’obligation à laquelle ils étaient tenus était une obligation de résultat. Les points mis en avant par le Mexique semblent concerner tout particulièrement la question de la mise en œuvre par les Etats-Unis des obligations leur incombant aux termes de l’arrêt Avena. S’il est vrai que le Mexique, dans les différents passages du supplément d’information qu’il a déposé le 17 septembre 2008, fait référence à certaines actions et déclarations des entités constitutives des Etats-Unis, ainsi qu’à ce qu’il considère comme un défaut d’action du gouvernement fédéral à certains égards, il reste néanmoins très vague quant à l’objet précis de la prétendue contestation. De surcroît, il est difficile de discerner, sauf par déduction, la position du Mexique quant à l’existence d’une contestation sur la question de savoir si l’obligation de résultat incombe à toutes les autorités, à l’échelon fédéral et à celui des Etats, et si celles-ci s’accordent à penser que tel est le cas ». Puis en accord avec cette constatation, la Cour déclare au paragraphe 45 de l’arrêt que « de par son caractère général, la question qui sous-tend la demande en interprétation présentée par le Mexique échappe à la compétence conférée de manière spécifique à la Cour par l’article 60. S’il y a une contestation, elle ne porte pas sur l’interprétation de l’arrêt Avena, et en particulier du point 9) du paragraphe 153 ».
[3] Paragraphe 46 de l’arrêt.
[4] Voir paragraphe 47 de l’arrêt.
[5] En effet, celui-ci n’a demandé à la Cour que de constater la violation par les Etats-Unis de son obligation internationale résultant de l’ordonnance de la Cour en date du 16 juillet 2008 et de l’arrêt Avena de 2004. Le requérant n’a nullement soumis à la Cour de demandes qui devaient amener celle-ci à se prononcer sur les conséquences de cette violation, autre que la demande de garanties de non-répétition, sur laquelle la Cour s’est prononcée, du reste, en la rejetant. Voir paragraphes 79-85 des conclusions du Mexique contenues dans son supplément d’information à la Cour en date du 17 septembre 2008.
[6] Dans sa Déclaration annexée à la décision, le Juge Abraham manifestait déjà ses réserves par rapport aux considérations exprimées par la Cour dans le point 3) du dispositif de l’arrêt, lesquelles ne se prêtent pas, en définitive, à grande conséquence.


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