16 décembre 2014

OUVRAGE : C. Maia, R. Kolb, D. Scalia, La protection des prisonniers de guerre en droit international humanitaire

Catherine MAIA

Le régime juridique des prisonniers de guerre est le fruit d’une longue évolution du droit international coutumier et conventionnel. Il est constitué aujourd’hui, pour l’essentiel, de la IIIe Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, du 12 août 1949. Sur certains points, cette Convention a été complétée par le Protocole additionnel relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, du 8 juin 1977. Ce régime juridique, à l’instar de l’ensemble du droit des conflits armés, n’est toutefois pas une construction figée dans le temps. Pour être véritablement efficace, il doit être adapté en fonction des transformations de la réalité et des divers développements du droit international.


Sur la base d’une étude empirique, et de l’analyse des régimes pertinents de protection de la personne humaine, la présente étude s’est précisément donné pour objectif d’évaluer le régime juridique des prisonniers de guerre à la lumière des principaux conflits armés contemporains qui ont éclaté depuis le début des années 1950. Ainsi, c’est en suivant le cours de l’existence du prisonnier de guerre – depuis la détermination de son statut, en passant par sa protection une fois capturé, puis sa libération et son rapatriement – que l’ouvrage invite le lecteur à découvrir, norme par norme, comment le droit en vigueur a été appliqué et à quelles éventuelles difficultés il s’est heurté sur le terrain.


TABLE DES MATIERES

Sommaire
Principales abréviations
Avant-propos

Chapitre I - DEFINITION DU STATUT DE PRISONNIER DE GUERRE 

A. L’applicabilité ratione personae du régime des prisonniers de guerre
B. Des Conventions de 1949 aux Protocoles de 1977
C. Doute sur la qualité de la personne capturée
D. L’articulation entre le « combattant » de la IIIe Convention et le « civil » de la IVe Convention
E. Le « combattant » dans un conflit armé non international

Chapitre II - TRAITEMENT DU PRISONNIER DE GUERRE 

A. La protection des captifs
B. L’organisation de la captivité

Chapitre III - FIN DU STATUT DE PRISONNIER DE GUERRE

A. Fin de captivité pendant les hostilités
B. Fin de captivité après les hostilités
C. Libération et rapatriement dans un conflit armé non international

Conclusion générale
Bibliographie
Table des matières



Catherine MAIA, Robert KOLB, Damien SCALIA, La protection des prisonniers de guerre en droit international humanitaireBruxelles, Bruylant, 2014 (658 pp.) 



AVANT-PROPOS

Cette étude a pour objet de combler une lacune dans la littérature du droit international humanitaire d’après 1949. La protection des prisonniers de guerre est, en effet, une matière qui n’a attiré l’attention des internationalistes spécialisés que d’une manière très sélective. Traditionnellement, les études sur le « statut » des prisonniers de guerre abondent. Il s’agit d’un grand nombre de contributions doctrinales analysant avec plus ou moins de luxe de détails la question de savoir qui a droit au statut de prisonnier de guerre et moyennant quelles conditions. La sedes materiae du droit positif actuel en la matière est constituée des articles 4 de la IIIe Convention de Genève de 1949 (CG III) et 43-44 du Protocole additionnel I de 1977 (PA I). La question a connu des prolongements récents dans les conflits armés non internationaux, où l’on s’interroge sur le point de savoir si un statut de combattant ou de quasi-combattant, de type fonctionnel, existe ou devrait exister. De même, la question du rapatriement des prisonniers de guerre a eu l’heur d’attirer l’attention de la doctrine déjà très tôt. La fin de la Seconde Guerre mondiale, puis la guerre de Corée (1950-1953) ont crûment posé le problème qu’une doctrine attentive n’a pas manqué de reprendre à son compte. C’est la raison pour laquelle ces deux questions ne seront pas traitées ici en profondeur. Les deux chapitres leur étant dévolus ont pour objectif de faire le point sur la question, de rappeler les réponses juridiques données et l’expérience pratique qui leur a servi de soubassement sociologique, enfin de prospecter les problèmes actuels. C’est dire que si ces chapitres ne sont en rien chétifs, le cœur de notre attention s’est porté sur un autre objet. 

Le corps du droit international humanitaire relatif aux prisonniers de guerre est constitué par le régime de protection que la IIIe Convention de Genève de 1949 met sur pied. Ce « régime » régit le temps de la captivité du prisonnier et tente de réglementer avec un luxe de détails impressionnant toutes les questions de sa vie quotidienne, ses relations avec la Puissance détentrice et avec le monde extérieur. On a pu suggérer(1) que ce régime était peut-être excessivement généreux et détaillé, sans doute en ce sens quelque peu irréel. Le fait demeure que ce régime a été conventionnellement fixé par les États et qu’il représente le droit actuellement en vigueur. Jamais il n’a été question de le réviser. En même temps, il constitue une pierre de touche de la civilisation humaine dans laquelle le raffinement des mœurs a permis de mener la protection des prisonniers de guerre vers une apogée normative. Or, ce corpus juridique impressionnant n’a, jusqu’ici, pas fait l’objet d’une étude approfondie. Celui qui souhaite s’informer sur le « régime » protecteur applicable aux prisonniers de guerre doit, aujourd’hui encore, se contenter de lire le texte de la IIIe Convention de Genève, le Commentaire dirigé par Jean Pictet relatif à cette Convention qui date de 1958(2), et quelques passages sommaires glanés çà et là dans une doctrine peu encline à aller au-delà de la répétition des énoncés de la Convention ou recopiant réciproquement ses meilleurs passages comme dans une boîte de réfraction. C’est dire que la mise en œuvre de la IIIe Convention de Genève, la pratique effectivement suivie, les interprétations et les modifications éventuelles apportées à ses normes juridiques par la pratique subséquente, l’appréciation des branches vivantes et des branches mortes du texte, le développement de coutumes nouvelles – tout cela n’est pas documenté. Il nous a semblé que le temps était venu de tenter de combler cette lacune(3). C’est ainsi que la part la plus éminente de cette étude se concentre sur ce « régime ». 

Les difficultés dont le chemin de cette étude a été jonché sont considérables. Les pièces et matériaux accessibles en matière de « régime » des prisonniers de guerre sont épars, clairsemés, de qualité très inégale. Le dépouillement des grands recueils de pratique de droit international public n’a livré que des résultats médiocres, pour ne pas dire décevants. Il en va ainsi, sans doute, du fait que le traitement des prisonniers de guerre est une question politiquement sensible, comme tout ce que fait un belligérant pendant un conflit armé. Nous avons alors décidé d’écrire à un nombre important d’États ayant été impliqués dans un conflit armé international. Les réponses, peu nombreuses, qui nous sont parvenues ont été tout sauf éclairantes. Dans la majorité des cas, on s’est borné à rappeler les législations nationales applicables, qui reprennent en grande partie le texte de la IIIe Convention de Genève. Parfois, on nous a simplement répondu que, mis à part ces textes législatifs, on ne pouvait rien nous communiquer au vu du secret défense. Il n’en demeure pas moins que nous voulons ici remercier les États ayant pris la peine de nous répondre pour les éléments qu’ils nous ont fournis. 

Au regard de ce qui précède, l’aide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) nous aurait été inestimable. Nous ne l’avons guère reçue. Le CICR s’est retranché derrière son sacro-saint principe de confidentialité. Dès lors, nous n’avons eu accès qu’aux rapports déjà ouverts au public des délégués ayant effectué des visites dans les camps de prisonniers de guerre, c’est-à-dire les rapports antérieurs à l’année 1966. Cela nous ramène vers le début de la première guerre indo-pakistanaise de 1965. Difficile de juger de la IIIe Convention de Genève d’après des matériaux qui ne dépassent le Commentaire de Jean Pictet que de quelques années. De plus, ces rapports des délégués sont généralement très concis, d’orientation extrêmement pratique, et peu enclins à livrer des informations juridiquement intéressantes. À cet égard, il faut préciser que le simple constat du respect ou d’une violation de la règle n’est pas pour le juriste d’un très grand intérêt. En effet, il n’en découle rien de tangible pour l’interprétation de la IIIe Convention de Genève. La violation reste un fait(4). Pour qu’elle se prolonge dans le monde du droit, il faudrait posséder des éléments supplémentaires. A-t-on revendiqué qu’une disposition doit être comprise dans tel ou tel sens ? A-t-on fait valoir que telle ou telle disposition est désuète ou modifiée ? A-t-on formaté de nouvelles normes en réponse à des lacunes de la IIIe Convention de Genève ressenties à la lumière de nouvelles exigences ? Voilà les questions qui nous intéressaient. Les rapports des délégués ne s’arrêtent généralement pas sur de tels points. 

Certaines autres sources ont été plus bénéfiques que celles mentionnées. Il en va d’abord ainsi des quelques délégués du CICR, ayant effectué des visites chez les prisonniers de guerre dans divers conflits (indo-pakistanais, Iran-Irak, Malouines), que nous avons pu rencontrer. Ils nous ont grandement aidés en partageant avec nous, très sincèrement et très vivement, leurs souvenirs. Regrettablement, les conflits armés en cause étant assez anciens, il leur était impossible de se rappeler les détails de l’application des dispositions parfois très spécifiques de la IIIe Convention de Genève. Toutefois, ils nous ont brossé un tableau d’ensemble très saisissant et plein de vie pratique. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés. 

Enfin, j’ai pu, quant à moi qui écris ces lignes (Robert Kolb), profiter de mon incorporation dans la Section « Droit des conflits armés » de l’armée suisse. Lors des rencontres avec tel ou tel militaire-juriste de la Section, des informations directes ou indirectes ont pu être obtenues. Je pense, notamment, aux informations du colonel Calame, m’apportant son témoignage sur la guerre des Falkland/Malouines (1982), pendant laquelle il a été en contact avec l’un des juristes militaires de l’armée anglaise. 

L’état lacunaire des informations recueillies nous a forcés à renoncer à un traitement isomorphe de toutes les questions. Là où nous avons trouvé des matériaux, nous avons procédé à leur analyse scientifique, en tentant d’en tirer des conclusions sur la manière dont les dispositions correspondantes de la IIIe Convention de Genève ont été comprises et appliquées. Là où nous n’avons guère trouvé d’élé-ments, nous l’avons signalé au lecteur. C’est dire que l’application de ces dispositions reste incertaine. Certes, dans ce cas, il faut présumer que le texte de la Convention donne une image fidèle du droit effectivement mis en œuvre. Après tout, si des écarts importants s’étaient manifestés, il serait à parier que nous en aurions trouvé quelque trace. Mais cette présomption – non juridique – ne saurait tenir bon dans tous les cas. Ainsi, certaines dispositions de la IIIe Convention de Genève prévoient des rémunérations des prisonniers de guerre exprimées en francs suisses, parfois en fractions de francs suisses. Il est peu probable que des rémunérations aient été payées dans un grand nombre des conflits armés d’après 1949, vu la pauvreté de certains États en cause ou le nombre insigne de prisonniers (par exemple en Inde, en 1971). De plus, il est à peu près certain que n’ont pu être maintenus inaltérés les chiffres fixés en 1949, qui ne correspondent pratiquement plus à rien de raisonnable dans le monde actuel. Or, nous n’avons guère pu trouver d’éléments probants sur cette question particulière. 

Dans l’ensemble, il faut donc concevoir cette étude comme le point de départ d’une radiographie actuelle du régime protecteur des prisonniers de guerre et non comme un point d’arrivée. L’effort a commencé ; il n’est pas porté à son terme. Il faut espérer que l’orientation et, espérons-le, la qualité scientifique de cette étude convaincront divers acteurs de l’utilité de serrer de plus près le régime de la IIIe Convention de Genève. D’autres monographies et articles pourraient alors prendre le relais et combler des lacunes laissées béantes. Peut-être tel ou tel acteur pourra-t-il souhaiter partager des informations avec nous, apporter tel ou tel complément, corriger telle ou telle imprécision. Nous l’invitons à le faire. Il pourra nous contacter à l’adresse mail suivante : robert.kolb@unige.ch. Ainsi, il sera peut-être possible, dans un second temps, d’envisager une deuxième édition de cet ouvrage dans laquelle les questions abordées pourront trouver un traitement plus complet, de manière à donner un aperçu approfondi du droit positif relatif au « régime » protecteur de la IIIe Convention de Genève. Cette étude ne doit donc être comprise que comme un jalon dans ce sens. Nous espérons vivement que d’autres suivront. 

Nous n’avons pas voulu traiter du régime juridique des prisonniers de guerre d’avant 1949, car le choix était d’éclairer le droit positif actuel, celui de la IIIe Convention de Genève de 1949. Toutefois, des références historiques à la pratique et aux textes plus anciens ont été opérées çà et là, quand cela s’est avéré utile. Il faut aussi avertir le lecteur qu’il nous a semblé superflu de répéter, une fois de plus, les notions élémentaires du droit international humanitaire, en expliquant par exemple dans le détail la notion de conflit armé international, non international ou mixte, la situation en cas de guerres de libération nationale, etc. Là encore, nous aurions gonflé le texte avec des notions déjà connues, sans véritable apport scientifique. Le lecteur insuffisamment averti du système et des concepts du droit international humanitaire consultera donc avec avantage un manuel traitant de cette branche du droit. 

Le partage du travail s’est fait selon les lignes suivantes. Catherine Maia a été nommée chercheuse en chef de ce projet financé par le Fonds national de la recherche scientifique suisse. Elle a recueilli les sources et les a dépouillées. La rédaction du chapitre central sur le régime protecteur des prisonniers de guerre sort de sa plume. Il y a lieu de la remercier pour son infatigable travail de fourmi et pour le talent dont elle a fait montre dans une étude difficile. Robert Kolb a supervisé l’ensemble du texte du point de vue scientifique et a rédigé le chapitre sur les personnes ayant droit au statut de prisonniers de guerre sur la base d’un texte préparé par Catherine Maia. Il a, de plus, formulé cet Avant-propos et la Conclusion générale. Damien Scalia s’est chargé des recherches et de la rédaction du chapitre sur la libération et le rapatriement des prisonniers de guerre. 

Le temps est venu de plonger in medias res : quel est donc le droit humanitaire posé par la IIIe Convention de Genève de 1949 ? 

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(1) Voy. G. Best, War and Law Since 1945, Oxford, Clarendon Press, 1994, pp. 135 et s. et 350 et s., qui parle d’un « extraordinary amount of comfort, protection and privilege » (p. 136).
(2) J. Pictet (dir.), La Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre : commentaire, Genève, CICR, 1958 (ci-après Commentaire III).
(3) L’effort se situe donc quelque part entre une mise à jour du Commentaire de Jean Pictet et un complément à l’étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, J.-M. Henckaerts, L. Doswald-Beck (eds.), Customary International Humanitarian Law, tome I, Rules, tome II, Practice, Cambridge, Cambridge University
(4) C’est à juste titre que Arthur C. Banks affirme : « a rule of international law may be violated and still be a valid rule of law accepted by the community of States. The law on prisoners of war was violated during the Second World War but it still represented a standard of action, a valid rule of law which was not denounced or disavowed by any of the belligerents engaged in that conflict » (International Law Governing Prisoners of War During the Second World War, thèse, Université Johns Hopkins, 1955, pp. 5-6). 

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