21 juillet 2016

NOTE : Groupe de travail de l’ONU sur le désarmement nucléaire : bilan de ses sessions de travail de janvier à mai 2016

Jean-Marie COLLIN

Par sa Résolution 70/33 du 11 décembre 2015 visant à « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire », votée par 138 États, l’Assemblée générale des Nations Unies « réaffirm[ait] qu’il est urgent de progresser sur le fond dans les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire et, à cette fin, décid[ait] de convoquer un Groupe de travail à composition non limitée chargé d’étudier sur le fond les mesures juridiques concrètes et efficaces et les dispositions et normes juridiques nécessaires à l’instauration d’un monde exempt à jamais d’armes nucléaires » (§ 2). Il était prévu que ce Groupe de travail de l’ONU sur le désarmement nucléaire ou Open-Ended Working Group (OEWG) se réunirait à Genève durant l’année 2016, en tant qu’organe subsidiaire de l’Assemblée générale, tous les États Membres étant invités à participer aux débats. Tandis que la première session informelle se tenait le 28 janvier dernier, dressons un premier bilan des sessions réalisées de janvier à mai 2016.



Conformément à la Résolution « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire » de l’Assemblée générale de l’ONU de 2015, une session du Groupe de travail (OEWG) s'est tenue le 28 janvier 2016, dans la salle de conférence XIX du Palais des Nations à Genève. Ce nouveau processus établi par l’ONU débutait pour entreprendre un travail sur les mesures et normes juridiques.

Ce Groupe de travail ne comporte pas de mandat officiel de négociation, donc aucun traité ne sera proposé à l’issue de ces travaux ; mais il permettra de voir quelle voie juridique sera la plus appropriée pour conclure, atteindre et maintenir un monde sans armes nucléaires. Cette première réunion avait pour objectif de formaliser : la nomination de l’ambassadeur de Thaïlande, Thani Thongphakdi, comme président du groupe de travail ; ainsi que le calendrier des réunions (du 22 au 26 février, du 2 au 4 mai, du 9 au 13 mai) et trois jours pendant la semaine du 22 août qui permettront de rédiger un rapport final, qui sera remis à la 71e session de l’Assemblée générale de l’ONU.

Un programme de travail a également été approuvé, réparti comme suit :

A - Des mesures juridiques efficaces concrètes, les dispositions juridiques et les normes qui devront être conclues en vue d’atteindre et de maintenir un monde sans armes nucléaires ;

B - Des recommandations sur d'autres mesures qui pourraient contribuer aux négociations multilatérales en faveur du désarmement nucléaire y compris, mais sans s'y limiter :
(i) Les mesures de transparence liées aux risques associés aux armes nucléaires existantes ;
(ii) Des mesures visant à réduire et à éliminer tout risque d’utilisation de ces armes par accident, par erreur, sans autorisation ou à dessein ;
(iii) Des mesures supplémentaires visant à mieux faire connaître et comprendre la complexité de la série de conséquences humanitaires qui résulteraient d’une explosion nucléaire.
Participants

L’appellation Groupe de travail « ouvert » a toute son importance, car cela signifie que tous les États peuvent participer, contrairement à la Conférence du désarmement dont seulement 65 États sont membres, dont les 9 États dotés d’armes nucléaires. Cette première session informelle a vu la participation de 85 États, aucun représentant du P5 (États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine) n’était présent. Notons, outre la participation des promoteurs de la Résolution 70/33 de 2015 (Mexique, Brésil, Irlande, Malte, Philippines…), la présence de l’Union européenne, de l’Allemagne, de la Belgique et de la Pologne. Ouverte à la société civile, le PNND (Parlementaires pour la non-prolifération et le désarmement nucléaire), ICAN (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) ou encore l’UNIDIR (Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement) étaient également présents.

Le P5 n’a pas souhaité participer à ce Groupe ; c’est une décision commune et unanime. Les principales raisons invoquées sont la non prise en compte dans ces futures discussions des conditions de sécurité internationale et le risque du contournement des instances onusiennes du désarmement. Ce refus de dialogue est toutefois perçu comme un refus de vouloir aller vers un monde sans armes nucléaires par les 138 États qui ont voté la création de ce Groupe. Dommage, car la position de la France est sans doute différente de la posture nucléaire chinoise ; mais en jouant la carte de la solidarité du P5, la France doit s’attendre à être encore qualifiée de mauvais élève du désarmement nucléaire…



La première session (du 25 au 29 février) du Groupe de travail sur le désarmement nucléaire – qui a réuni près de 90 délégations diplomatiques et une dizaine d’ONG – a clairement offert la possibilité à tous d’échanger de nombreuses réflexions pour avancer sur les points suivants : mesures juridiques pour atteindre et maintenir un monde sans armes nucléaires ; autres mesures en faveur du désarmement nucléaire dont la transparence, le risque ; comprendre la complexité et l’interdépendance des conséquences humanitaires.

Aucune puissance nucléaire n’a été présente, ce qui a été regretté par de nombreuses délégations. Les États-Unis ont tenté d’obtenir la garantie que certains sujets ne soient pas abordés ; mais apparemment cela fut un échec !

Il faut noter que dans le même temps, à la Conférence du désarmement, Matthew Rowland, ambassadeur britannique, a proposé d’établir en son sein un groupe de travail « pour identifier, élaborer et recommander des mesures efficaces sur le désarmement nucléaire, y compris les dispositions légales et autres dispositions qui contribuent et sont nécessaires à la réalisation et au maintien d'un monde sans armes nucléaires ». Étonnant !

Cette session a permis d’identifier nettement deux groupes d’États :
1. Le « core group » (Autriche, Mexique, Costa Rica…), qui souhaite avancer sur la création d’un nouvel instrument juridique (traité d’interdiction, convention, ensemble d’accords) interdisant les armes nucléaires ;
2. Le groupe des États bénéficiant d’une dissuasion élargie, qui peut se subdiviser en deux catégories : ceux qui furent très ouverts aux dialogues (Japon et Australie principalement) et ceux qui sont restés assez repliés sur la discussion (Allemagne, Belgique, Italie), indiquant que l’absence des États nucléaires ne permettait pas d’avoir une véritable réflexion. Mais, dans les deux cas, tous ont indiqué que leur politique de défense – du fait d’accord avec l’OTAN et les États-Unis – est basée sur la dissuasion et ne leur permet pas de remettre en cause l’arme nucléaire.
La discussion sur l’existence d’un vide juridique (legal gap) entourant les armes nucléaires a clairement permis d’avancer et semble être entérinée par une majorité d’États. Comme l’a expliqué l’Autriche, il a été créé un Traité d’interdiction complète des essais nucléaires pour renforcer la lutte contre la prolifération nucléaire et consolider le Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP). Il doit en être de même pour le désarmement nucléaire en créant un instrument qui interdira ces armes, le TNP ne le spécifiant pas.

Le PNND est intervenu pour souligner que l’Union interparlementaire – qui représente plus de 160 Parlements à travers le monde – a adopté, en 2014, la Résolution « Pour un monde exempt d’armes nucléaires : la contribution des Parlements », qui appelle les parlementaires à travailler avec les Gouvernements pour éliminer dans leur doctrine de sécurité́ le rôle des armes nucléaires et pour réaliser une Convention sur les armes nucléaires.

Dans une déclaration prononcée devant les délégués le 23 février 2016, ICAN France a déploré l’absence de la France et des 8 autres puissances nucléaires : « Le dialogue multilatéral nous semble le moyen le plus adapté pour atteindre notre objectif commun. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé notre ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de la Conférence du désarmement, il y a quelques semaines, en affirmant que “pour progresser sur la voie d’un monde plus sûr pour tous et créer les conditions pour un monde sans armes nucléaires, nous devons, au contraire, consentir un réel effort pour travailler ensemble, dans un esprit de responsabilité partagée et en tenant compte des préoccupations de chacun”. Ce sont ses mots, mais nous constatons que la France brille par son absence. [...] C’est pourquoi nous participons en tant que société civile française à ces importantes discussions pour montrer que le consensus souvent affiché par les autorités françaises sur la dissuasion est un mythe. Des citoyens, étudiants, maires, parlementaires, contestent cette politique et interpellent régulièrement les autorités françaises. (...) ».



Pendant 10 jours, en mai 2016, plus d’une centaine d’États se sont retrouvés à la deuxième session du Groupe de travail à composition non limitée (OEWG) pour faire avancer le désarmement nucléaire, à l’ONU (Genève). De nouveau, cette session a fait ressortir un schisme profond entre les États qui cherchent à créer un instrument juridiquement contraignant interdisant les armes nucléaires et ceux qui sont opposés à cette idée, à savoir les puissances nucléaires et les États bénéficiant du parapluie nucléaire de l’OTAN et des États-Unis.

L’absence intentionnelle des 5 États nucléaires reconnus par le TNP et des 4 autres États possédant des armes nucléaires est également une nouvelle démonstration de leur volonté de ne pas participer à un processus multilatéral de désarmement. Tous sont d’ailleurs entrés dans un cycle de modernisation de leurs arsenaux et veulent maintenir cette posture politique : les armes nucléaires jouent un rôle pour leur sécurité. Étonnamment, l’écrasante majorité des États à travers le monde ne voient, eux – suite aux conclusions des 3 conférences sur l’impact humanitaire des armes nucléaires (2013 et 2014) –, qu’une menace pour leur population civile.

Ces États ont donc décidé de travailler pour créer un processus juridique – au sein de l’ONU – même si les puissances nucléaires refusent de se joindre aux pourparlers. Ce processus est en marche comme le souligne la demande de 10 Etats (Argentine, Brésil, Costa Rica, Équateur, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Mexique, Philippines, Zambie) de convoquer avant la fin de l’année 2017, une conférence pour négocier un instrument juridiquement contraignant ; conférence qui précédera une « réunion internationale de haut niveau de l’ONU sur le désarmement nucléaire pour examiner les progrès accomplis à cet égard » en 2018. Ceci doit être bien observé, avec en parallèle des prises de position diplomatiques de plus en plus fortes, comme ce fut le cas lors des débats du OEWG et des débats parlementaires (Norvège, Pays-Bas, Allemagne…) en faveur d’un processus d’interdiction des armes nucléaires.

La France s’oppose à cette démarche, prétextant que seule l’approche du désarmement étape par étape peut réussir. Lors de la première Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires (2013), Paris et ses partenaires nucléaires avaient déclaré que c’était là « une distraction ». Voyant qu’un processus est désormais en action, ils avertissent désormais que celui-ci pourrait déstabiliser le régime de non prolifération nucléaire. Un non-sens !

Ce Groupe de travail tiendra sa troisième et dernière session en août 2016. Les conclusions seront ensuite soumises pour débat à l’Assemblée générale des Nations Unies à l’automne 2016, moment où devrait être déposée une demande en vue de voter une résolution pour lancer, en 2017, des négociations pour interdire les armes nucléaires. Si tel est bien le cas, cette résolution sera adoptée (plus de 150 États étant en sa faveur) et un mandat sera donné pour enclencher ce processus. Devant un tel avenir qui semble se matérialiser, il apparaîtrait opportun, en particulier pour les parlementaires des commissions Défense et des Affaires étrangères, de se saisir de ce sujet…


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