29 septembre 2016

ACTU : Réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur la situation en Syrie : les profondes divergences entre les pays occidentaux et la Russie

Catherine MAIA

Réuni en urgence à la demande de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni, pour examiner les derniers développements tragiques de la situation en Syrie, et tout spécialement dans la ville d’Alep, le Conseil de sécurité a été, le 25 septembre, le théâtre d’un affrontement verbal entre les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, d’une part, et la Russie, d’autre part. D’autres membres du Conseil de sécurité, comme l’Égypte, l’Angola ou le Venezuela, ont, quant à eux, affirmé que la Syrie ne saurait continuer à être la scène d’un affrontement par procuration entre puissances régionales ou internationales.

« Ce sont des jours terribles pour la Syrie », a déclaré l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU, M. Staffan de Mistura, qui est venu présenter les tous derniers développements, marqués par ce qu’il a considéré comme une intensification « sans précédent » des attaques depuis le début du conflit il y a 6 ans. Faisant état de l’utilisation de bombes incendiaires et de bombes capables de percer des bunkers, il a répété que le recours à de telles armes dans des zones à forte concentration de civils constitue des crimes de guerre, avant de dresser un tableau apocalyptique des souffrances de la population civile.

L’Envoyé spécial a estimé que ni le bombardement américain de Deir ez-Zor contre les forces syriennes, ni l’attaque ayant visé le convoi humanitaire du Croissant-Rouge syrien ne sauraient justifier cette violence sans précédent. Il a rappelé que l’accord de cessez-le-feu conclu le 9 septembre entre les coprésidents du Groupe international de soutien pour la Syrie (GISS) – États-Unis et Fédération de Russie – était entré en vigueur le 12 septembre. Les premiers jours, il avait réellement permis d’améliorer la situation de la population. Toutefois, lorsque le Gouvernement syrien a déclaré la fin du cessez-le-feu le 19 septembre, on a appris que des frappes aériennes et des attaques au baril d’explosifs avaient repris dans l’est d’Alep, où il y a une forte concentration de la population civile. Avertissant que la reconquête d’Alep ouvertement souhaitée par le Gouvernement syrien impliquerait des combats de rue sanglants et destructeurs, l’Envoyé spécial a répété qu’il ne pourrait y avoir de solution militaire à Alep, ni en Syrie. Il faut donc un cessez-le-feu et une solution politique crédible.

Lors du débat, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande s’en sont vivement pris à la Fédération de Russie. La représentante des États-Unis, qui a rappelé que son pays avait aussitôt reconnu son « erreur » concernant la frappe aérienne de Deir ez-Zor et avait présenté ses excuses, a accusé la Russie d’abuser du « privilège historique » que lui confère son siège permanent au Conseil de sécurité. Il est grand temps, a-t-elle rappelé, de dire qui mène les frappes qui tuent les civils. Le représentant britannique a accusé la Russie d’avoir « noué un partenariat » avec le régime syrien pour commettre des crimes de guerre », tandis que la représentante de la Nouvelle-Zélande a dénoncé « un véritable carnage dans l’est d’Alep » provoqué par « des avions syriens qui, de toute évidence, intervenaient avec le soutien de la Russie ». Enfin, le représentant de la France, qui a comparé Alep à « ce que Sarajevo fut pour la guerre en ex-Yougoslavie » et proclamé sa volonté d'aboutir à une solution négociée, a dit attendre de la Russie la preuve qu’elle est véritablement disposée à cesser de soutenir l’option militaire.

Le représentant de la Fédération de Russie a répliqué en appelant à établir les faits avant de porter des accusations concernant les attaques à Alep et affirmé que les frappes menées à l’est de la ville visaient des combattants terroristes du Front el-Nosra. Il a également rejeté la non-application de l’accord du 9 septembre sur l’opposition syrienne et reproché à la partie américaine de n’avoir pas, elle non plus, contribué à sa mise en œuvre, préférant maintenir les capacités militaires des groupes armés présents sur le terrain et pratiquer un « unilatéralisme » doublé de volte-faces.

Réagissant à ces interventions, le représentant de la République arabe syrienne a tenu à préciser que son Gouvernement entendait reprendre toute la ville d’Alep, « une des deux villes principales de la Syrie avec Damas, qui est sa capitale ». Il a accusé les pays occidentaux d’avoir voulu, en demandant cette réunion, envoyer un signal de soutien politique au Front el-Nosra. Il a également démenti tout usage par l’armée syrienne d’armes interdites et décrit le bombardement américain de Deir ez-Zor comme étant une « tentative délibérée de saboter l’accord du 9 septembre, pourtant essentiel pour améliorer l’accès humanitaire et la protection des civils et reprendre le processus politique. Le Gouvernement syrien, a-t-il assuré, s’est engagé à parvenir à un accord politique, mais « grâce à des pourparlers intra-syriens » et non du fait de pressions extérieures.

Signe de l’intensification des combats, le 28 septembre, les deux plus grands hôpitaux de la partie rebelle d’Alep ont été touchés par des bombardements qui sont, selon des ONG, des attaques délibérées du régime syrien et de son allié russe pour y annihiler les infrastructures.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a aussitôt dénoncé les « crimes de guerre » commis quotidiennement en Syrie. « Nous avons reçu des informations concernant des frappes aériennes contre deux hôpitaux à Alep. Soyons clairs : ceux qui utilisent des armes de plus en plus destructives savent parfaitement ce qu'ils font. Ils savent qu'ils commettent des crimes de guerre », a déclaré Ban Ki-moon devant le Conseil de sécurité réuni sur le thème de la protection des civils et des soins de santé dans les conflits armés.

Décrivant l'horreur d'une situation où « des gens ont des membres arrachés » et des enfants sont « dans d'atroces souffrances sans secours (…) n'ayant nulle part où aller et sans répit en vue », M. Ban a lancé aux représentants des 15 Etats membres : « Imaginez un abattoir. Eh bien c'est pire. Même un abattoir est plus humain ».

« Les hôpitaux, les cliniques, les ambulances et le personnel de santé à Alep sont l'objet d'attaques 24 heures sur 24 ». Selon l'association Médecins pour les Droits de l'Homme, 95% du personnel médical qui se trouvait à Alep avant la guerre ont fui, ont été arrêtés ou ont été tués. « C'est une guerre contre les prestataires de soins médicaux en Syrie », a dénoncé le chef de l'ONU. Or, sur ce point, « le droit international est clair : les travailleurs, installations et moyens de transport liés à la santé doivent être protégés. Les attaques délibérées d'hôpitaux constituent des crimes de guerre », a-t-il poursuivi.

Il a rappelé que le Conseil avait adopté le 3 mai 2016 la Résolution 2286 sur la protection des soins médicaux dans les conflits armés à travers le monde, exhortant ses membres à agir.

A cet effet, il a fait au Conseil de sécurité trois recommandations : prévention, protection et responsabilité. Les Etats membres, a-t-il expliqué, « doivent faire tout leur possible pour promouvoir le respect des soins médicaux dans les conflits armés ». Les parties à un conflit doivent « prendre des précautions pour sauvegarder les installations et le personnel voués à la santé quand ils prévoient d'effectuer des opérations militaires ». Enfin, les Etats membres et les parties à un conflit doivent « faire en sorte que quiconque se rend responsable de violations soit poursuivi en justice et puni ».


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