22 novembre 2017

NOTE : De l’humanitaire aux drones : la valse-hésitation du Canada entre idéalisme et réalisme

Emmanuel GOFFI

« Il est temps pour le Canada de s'engager à nouveau », déclarait le premier ministre canadien, Justin Trudeau, en mars 2016. À l’époque, Justin Trudeau lançait la campagne pour l’élection du Canada à un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Force est de constater que depuis, l’enthousiasme du Gouvernement canadien s’est quelque peu atténué. En annonçant le 15 novembre 2017 ses « engagements intelligents », le Gouvernement fédéral a démontré son manque de volontarisme, en se contentant d’effets d’annonce.

Des engagements concrets aux engagements intelligemment faibles

Si, en 2016, le premier ministre Justin Trudeau prétendait « renouvelerle rôle historique du Canada comme contributeur-clé pour les missions demaintien de la paix des Nations Unies », le saupoudrage, offert avec pompe, à l’issue de la réunion de 2017 des ministres de la Défense sur le maintien de la paix des Nations Unies à Vancouver, a refroidi les défenseurs du leadership canadien en la matière.

Certes, un peu de nuance et de recul invite à reconnaître le mérite de la flexibilité vantée par le Gouvernement. Dans le même temps, il convient d’admettre que c’est là un concept fourre-tout, qui permet de ne pas s’engager tout en laissant croire le contraire.

L’absence d’indication sur le ou les pays où Ottawa contribuerait aux opérations de maintien de la paix, traduit tant l’indécision sur le sujet que le manque de volonté politique d’assumer les risques associés à tout engagement militaire. De fait, si le Mali fut un temps envisagé, il semble que l’insécurité qui y règne toujours, malgré la présence des Nations Unies au travers de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et de la France avec l’opération Barkhane, représente un frein à un engagement qui, pourtant, serait essentiel pour la région.

En bref, avec un plan sur cinq ans comprenant quelques hélicoptères de combat, un avion de transport tactique, une force d’action rapide de 200 personnes, 21 millions de dollars pour favoriser l’intégration des femmes dans les missions de l’ONU, de l’aide à la formation, le Gouvernement canadien espère revenir à sa place historique, voire obtenir un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité. Entre tentative de séduction, exercice de communication et fausse naïveté, Ottawa vend du rêve.

Hors de la technologie, point de salut

Si le risque est au cœur des préoccupations des dirigeants canadiens, peut-être faut-il voir dans l’intérêt grandissant du Gouvernement pour les drones et les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA) une orientation stratégique qui permettrait de pallier cet obstacle.

Depuis que le premier ministre a déclaré, en août 2016 puis le 8 juin dernier, que le Canada allait s’équiper de drones, il semble que les opportunités offertes par ces technologies militaires intéressent le Gouvernement. En matière d’interventions militaires, les aéronefs pilotés à distance permettraient, il est vrai, de retirer le risque de l’équation. Le fait que les opérateurs se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres de la zone de combat permet d’éviter leur mise en danger et, par voie de conséquence, des pertes qui seraient reprochées aux autorités politiques.

De fait, le pays semble émerger d’une longue léthargie et commence à s’intéresser au sujet en réfléchissant également aux étapes futures que représentent les SALA. Après un atelier réunissant des experts à l’Université d’Ottawa autour de la question du rôle de la confiance dans la politique de développement des systèmes d’armes autonomes le 5 octobre, ce fut au tour d’Affaires Mondiales Canada (AMC) et du ministère de la Défense nationale (MDN) d’organiser une première consultation avec la société civile sur les SALA, le 9 novembre. Pour l’occasion, une quinzaine de spécialistes venant tant du monde académique que du secteur privé ou d’organisations non-gouvernementales, ont participé à une discussion avec les représentants d’AMC et du MDN.

Si l’on revient à la déclaration du premier ministre qui affirmait, en 2016, que « même dans une mission de maintien de la paix, les drones sont des outils qui peuvent aider à faire de la surveillance », il devient clair que la question des drones ne peut être détachée de celle des opérations de maintien de la paix. Si l’on élargit le sujet en constatant que la France et les Etats-Unis promeuvent la militarisation de la bande sahélo-saharienne, il devient légitime de se demander quelle sera la politique du Canada en matière d’utilisation potentielle de ces systèmes dans des opérations onusiennes en Afrique de l’Ouest. Entre intelligence, surveillance, reconnaissance (ISR) et utilisation de drones armés (autonomes ?), il n’est qu’un pas aisément franchit, comme le prouve l’exemple de la France.

En bref, le Canada paraît courir deux lièvres à la fois : son image humanitaire et une politique teintée d’un réalisme qu’il faudra assumer tôt ou tard.

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