28 novembre 2017

OUVRAGE : P. Naftali, La construction du "droit à la vérité" en droit international

Patricia NAFTALI

La « vérité » peut-elle faire l’objet d’un droit ? La question aurait de quoi laisser le lecteur perplexe. Pourtant, en l’espace d’une décennie, l’idée d’un « droit à la vérité » dû aux victimes d’atrocités est parvenue à s’imposer de manière globale : elle occupe aujourd’hui une place centrale dans le paysage des institutions de protection des droits de l’Homme et dans les politiques internationales de pacification de sociétés en conflit.

Comment ce concept a-t-il pu être consacré aussi rapidement, alors qu’il ne figurait dans aucun catalogue de droits fondamentaux ? S’agit-il d’un nouveau droit justiciable ou d’un simple recyclage sémantique d’autres droits existants ? Le « droit à la vérité » annonce-t-il une révolution juridique, ou se résume-t-il à une façade rhétorique, voire un fétichisme juridique ?

Cet ouvrage inédit reconstitue la généalogie du « droit à la vérité » en droit international, des luttes sociales concrètes pour sa reconnaissance à ses développements contemporains, afin d’en déterminer les enjeux socio-politiques et juridiques. À ce titre, il présente une cartographie complète des mobilisations du « droit à la vérité » et de leurs effets en droit international. D’une part, l’étude examine dans quelle mesure le « droit à la vérité » est reconnu en droit international et quels sont ses contours normatifs et ses bénéficiaires. D’autre part, elle sonde le rôle des entrepreneurs du « droit à la vérité » dans la construction d’un nouveau droit, afin de comprendre les conditions empiriques de sa diffusion internationale et les enjeux qui la sous-tendent.

En particulier, la thèse montre comment les mobilisations du « droit à la vérité » tentent d’orienter dans un sens particulier certains débats qui demeurent ouverts en droit international et qui sont liés à des enjeux de justice contemporains : les victimes d’atrocités ont-elles un droit à la punition des responsables ? Les amnisties sont-elles licites en droit international ? Peut-on restreindre le secret d’État et contraindre les autorités à communiquer des informations aux victimes de violations des droits de l’Homme et à leurs proches ?

En définitive, l’ouvrage révèle l’ambivalence du « droit à la vérité », qui agit tantôt comme ressource, et tantôt comme contrainte pour ses promoteurs, en raison de la diversité de ses représentations et de ses réappropriations successives au fil du temps.


TABLE DES MATIÈRES

Préface, Jacques Commaille
Liste des abréviations
Sommaire.
Introduction générale


 PARTIE I
L'ÉMERGENCE DU « DROIT A LA VÉRITÉ » DANS LE CADRE DES MOBILISATIONS CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES EN AMÉRIQUE LATINE (1975-FIN 1980) 

Introduction 


TITRE I. Les mobilisations sociales contre les disparitions forcées et la devise de « vérité » sur le sort des disparus


Chapitre I. La disparition forcée : une pratique répressive hors du droit ?

A. L’ampleur de la pratique des disparitions forcées et du terrorisme d'État en Amérique latine (années 1960-1980)
B. Un phénomène inconnu du droit ? Les difficultés juridiques posées par les disparitions forcées.
Chapitre II. La « vérité » au cœur de la lutte des associations de familles
A. Le passage des familles de la sphère privée à la sphère publique : la formation d’associations de parents de disparus
B. La devise de « vérité » comme cadre de résistance aux disparitions forcées sous les dictatures : l’exemple des mères de la place de mai
C. L’internationalisation de la lutte contre les disparitions forcées
TITRE II. Les formes d’institutionnalisation de la cause des associations de familles de disparus

Chapitre I. Les réponses initiales au plan international et régional
A. Les réactions aux disparitions forcées au sein des Nations Unies
B. L’article 32 du Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève
C. Le Comité des droits de l’Homme : l’affaire Quinteros c. Uruguay de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme
Chapitre II. Un aperçu des réponses des États latino-américains au plan national
A. Les commissions d’enquêtes extrajudiciaires
B. Les exhumations des corps des victimes
C. Les réparations en guise de reconnaissance de la responsabilité de l’État ?
Conclusion. La « vérité » comme droit à la vie des disparus ou comme droit au deuil des familles 

PARTIE II
LA FORMALISATION D’UN « DROIT A LA VÉRITÉ » DANS LE REGISTRE DES DROITS DE L’HOMME POUR LUTTER CONTRE IMPUNITÉ (1990-2003) : UN DROIT JUSTICIABLE ? 

Introduction 

TITRE I. Les mobilisations d’activistes des droits de l’Homme pour juridiciser un « droit à la vérité » : des réponses aux débats sur l’impunité 

Chapitre I. Les amnisties comme outil de paix et de réconciliation nationale
A. Les discours de légitimation des États fondés sur la réconciliation nationale
B. La position de la communauté internationale
C. La position initiale des cours suprêmes nationales et des organes de droits de l’Homme.
Chapitre II. Les incertitudes du droit international et la formulation d’une « obligation de vérité » pour lutter contre l’impunité
A. Le débat sur la lutte contre l’impunité au sein de la communauté d’activistes des droits de l’Homme : une question controversée
B. L’entrée du débat dans le champ académique du droit international
C. Le « droit à la vérité » comme droit de l’Homme permanent
D. La position des associations de familles de disparus
Chapitre III. Les mobilisations en Argentine pour un « droit à la vérité » justiciable
A. Mobiliser les juges : la construction d’un recours ambivalent
B. Les tergiversations des juges par rapport à la voie d’enquêtes pénales sans inculpés
C. La mise en œuvre d’un « droit à La vérité » résiduel : los juicios por la verdad
D. Conclusion
TITRE II. L’institutionnalisation du « droit à la vérité » comme pilier de la lutte contre l’impunité : la cohabitation de visions concurrentes sur la lutte contre l’impunité

Chapitre I. Le « droit à la vérité » et l’institutionnalisation de la lutte contre l’impunité au sein des Nations Unies
A. L’article 18 de la Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies contre les disparitions forcées (1992)
B. Le rôle des rapporteurs spéciaux de la Commission et Sous-Commission des droits de l’Homme
Chapitre II. Le « droit à la vérité » dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine : une réponse judiciaire et répressive aux débats sur l’impunité ?
A. D’un droit « inexistant » à un droit intégré dans le système interaméricain des droits de l’Homme
B. L’évolution de la Cour par rapport aux amnisties
C. L’étendue de l’obligation d’enquête et de poursuite : une vision judiciaire du « droit à la vérité »?
Chapitre III. Le « droit à la vérité » dans la jurisprudence de la chambre des droits de l’Homme de Bosnie-Herzégovine
A. Les fondements du « droit à la vérité »
B. La dimension collective du « droit à la vérité » ?
Conclusion. Le « droit à la vérité », entre politiques de vérité et politiques de châtiment

PARTIE III
L’INSCRIPTION D’UN « DROIT A LA VÉRITÉ » DANS LA CONVENTION INTERNATIONALE CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES (2003-2006) : UN BRICOLAGE NORMATIF A PLUSIEURS MAINS ?

Introduction

TITRE I. La diversité des mobilisations du « droit à la vérité » : un droit implicitement consacré dans plusieurs projets de convention ?

Chapitre I. Les entrepreneurs globaux du « droit à la vérité » : droit univoque ou polysémique ?
A. FEDEFAM et le poids des ONG argentines
B. Les ONG internationales de droits de l’Homme
C. Les experts en marge des ONG
D. Le Comité international de la Croix-rouge (CICR)
Chapitre II. Les tensions générées par les débats sur le « droit à la vérité »
A. Un concept ambivalent par rapport à l’amnistie
B. Un concept ambivalent sur les paramètres de l’enquête
C. Les débats sur la transparence en matière de détention
TITRE II. La formalisation expresse d’un « droit à la vérité » dans la Convention : un enjeu redondant ?

Chapitre I. D’une multiplicité de référents à une référence unique
A. L’inscription expresse du « droit à la vérité »
B. Du préambule à l’article 24, § 2 : un processus aléatoire marqué par des tergiversations
Chapitre II. Débattre du « droit à la vérité » en tant que tel : un tabou ?
A. Une formalisation liée à un arbitrage final du président
B. Un « nouveau » droit dont le contenu n’est quasi jamais abordé : un droit flou à dessein ?
Conclusion. Lle « droit à la vérité » et la convention de 2006, un moyen de lutte efficace contre les disparitions forcées ?

PARTIE IV
L’INSTITUTIONNALISATION D’UN « DROIT A LA VÉRITÉ » GÉNÉRAL AU PLAN INTERNATIONAL (2004-2015) : LA FIN DE INDÉTERMINATION ?

Introduction

TITRE I. La compétition internationale autour du « droit à la vérité » aux Nations Unies

Chapitre I. Les tensions autour de la mise en œuvre du « droit à la vérité »
A. Un fondement normatif commun aux commissions de vérité et à la justice pénale
B. Une charnière pour des pratiques en cours de consolidation
C. Le « droit à la vérité » comme fondement normatif concurrent aux deux pratiques
Chapitre II. Les tensions autour du statut juridique du « droit à la vérité »
A. Le(s) fondement(s) du « droit à la vérité » : un statut entre polymorphie et autonomie
B. Non-droit vs droit déjà existant : divergences autour de la codification d’un « droit à la vérité » (2010)
C. Les observations conciliantes du groupe de travail sur les disparitions forcées : un concept qui fragilise les droits de l’homme et promeut l’impunité ?
TITRE II. La construction d’un consensus international en faveur de la complémentarité : le dépassement de « Truth v. Justice » ? 

Chapitre I. Les mobilisations pour la complémentarité entre la justice pénale internationale et les commissions de vérité
A. Un principe de cohabitation aux Nations Unies ?
B. Un principe d’exclusion des poursuites au profit de commissions de vérité à la Cour pénale internationale ?
C. « Truth and justice » réconciliés ? Une complémentarité rhétorique
Chapitre II. Les effets de la complémentarité : des politiques contradictoires qui servent les intérêts de plusieurs groupes
A. Nouveaux savoirs, nouveaux pouvoirs : un nouveau répertoire d’action pour les ONG de droits de l’Homme
B. De nouvelles opportunités professionnelles en droit.
Conclusion. Le « droit à la vérité », un outil de lutte contre l’impunité et de promotion des droits de l’Homme ? 

Conclusion générale. Le « droit à la vérité », une « étincelle entre deux épées » 


Annexe sur les archives de la convention internationale contre les disparitions forcées
Bibliographie sélective


Patricia NAFTALI, La construction du "droit à la vérité" en droit international, Bruxelles, Bruylant, 2017 (576 pp.)


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